Comité Départemental de Spéléologie du Jura

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 Hommage à Jean-Claude FRACHON

 Jean-Claude Frachon: un précurseur ? (à paraître)

Par Jean-Yves Bigot, 30 janvier 2006

J'ai rencontré pour la première et dernière fois Jean-Claude Frachon à Corveissiat (Ain) le 8 octobre 2005 et j'ai été impressionné par sa culture et son intelligence. Cependant, nous avons échangé des courriers qui m'ont permis de l'apprécier.

Lorsque j'étais encore à Paris, j'allais souvent aux puces de Saint-Ouen dénicher des cartes postales anciennes sur les grottes et phénomènes karstiques des régions de France. Je ne connaissais que très superficiellement les grottes et les reliefs spécifiques de la Franche-Comté, handicap qui m'empêchait de distinguer une carte postale montrant une émergence en pleine paroi d'une vulgaire cascade. En effet, les sites touristiques pittoresques ne font aucune distinction entre une chute d'eau et un authentique phénomène karstique. Je me suis souvent demandé si la cascade que je voyais jaillir d'une paroi était une illusion d'optique créée par la position du photographe ou une véritable source…

Depuis que J.-C. Frachon nous a exposé sa théorie sur les reculées du Jura lors de la rencontre d'octobre de Corveissiat, j'ai enfin compris pourquoi les cascades des cartes postales me jouaient des tours.

En effet, J.-C. Frachon a montré que les sauts de la haute vallée du Hérisson sont en fait de courts systèmes pertes-résurgences qui se développent entre chaque saut ou ressaut plus ou moins asséché. Les réapparitions du cours d'eau à différents niveaux sont de véritables phénomènes karstiques à l'origine de la formation des reculées.

Jean-Claude Frachon à Corveissiat lors de son exposé sur les reculées du Jura lédonien le 8 octobre 2005 (cliché J-Y. Bigot).

Fort de l'enseignement dispensé par J.-C. Frachon, j'ai eu l'occasion de tester la théorie des reculées du Jura lédonien dans la haute vallée du Lison pour identifier le creux Billard comme une ancienne reculée suspendue au-dessus de la source du Lison (1). Nul n'étant prophète en son pays, la signalétique des collectivités territoriales continue de dispenser des idées obsolètes comme les modèles d'effondrement qui résistent à la limpidité des hypothèses (2) formulées dès 1969.

Mais Jean-Claude Frachon a identifié d'autres phénomènes typiquement karstiques qui ne sont pourtant pas caractéristiques du karst jurassien. Il s'agit de conduits illustrant la réponse du karst à une remontée du niveau de base, comme on peut en voir dans la plupart des émergences ayant eu à s'adapter au comblement d'une vallée par des alluvions, qu'elles soient d'origine marine, fluviatile ou glaciaire.

En effet, j'ai émis une hypothèse selon laquelle une remontée du niveau de base local (remblaiement d'une vallée) peut expliquer la formation de conduits spécifiques s'adaptant aux conditions extérieures (3) . J'ai de plus souhaité étendre le fonctionnement vauclusien ou noyé, reconnu dans certaines cavités des gorges de l'Ardèche, à d'autres grottes de France. C'est ainsi qu'en 2002, j'ai proposé sur le forum (Liste spéléo) une liste de cavités ayant pu fonctionner sur ce modèle.

J'ai alors eu la surprise de recevoir une réponse très enthousiaste de J.-C. Frachon, qui a aussitôt saisi la balle au bond et convaincu les plus sceptiques avec l'exemple de la caborne de Menouille (4).

 

Schéma explicatif en trois phases des conduits de raccordement se développant au droit des émergences (Jean-Yves Bigot, 2002).

Voilà ce qu'avait dit J.-C. Frachon aux sceptiques, message du 7 novembre 2002 :

" Je suis allé voir le site de J.-Y. Bigot, et j'y ai vu deux caractérisations des tubas (*) :

1)      une certaine disposition géométrique, à savoir : conduit sec descendant recoupant un conduit actif à pente régulière.

2)      une hypothèse génétique, à savoir que le creusement du conduit sec serait postérieur à celui du conduit actif, du fait d'un barrage par des sédiments.

La Caborne de Menouille (Cernon, Jura) semble correspondre pile-poil à ce schéma. "

Le lendemain, J.-C. Frachon répondait à une demande de justification en adressant un nouveau message :

" La Caborne de Menouille (6600 m de développement, 157 m de dénivel.) s'ouvre sur le flanc de la vallée de l'Ain, dans le Jura. Le cours actif s'écoule vers la résurgence à 330 m d'altitude. Au Würm, la vallée et les conduits d'entrée de la grotte ont été remblayés jusqu'à 360 m d'altitude par des dépôts fluvio-glaciaires. Il est admis que le réseau Inférieur avec son P. 15 correspond à un creusement de bas en haut, de type vauclusien, élaboré après cet épisode de remblaiement, en direction de l'entrée actuelle de la cavité. Le cours actif inférieur a peu à peu surcreusé les remplissages et retrouvé son itinéraire d'origine, si bien que le 'trop-plein' vauclusien est désormais subfossile. "

Coupe des réseaux de la caborne de Menouille (croquis de J.-C. Frachon)

Je rends ici hommage à la vivacité d'esprit de Jean-Claude Frachon qui a su reconnaître, bien avant la lettre, les causes de phénomènes karstologiques assez ténus jusque dans ses cavernes jurassiennes.

(*) "Grotte-tuba " est le terme que nous avions employé pour définir les conduits qui se développent au-dessus des conduits initiaux raccordant ainsi les circulations hydrologiques au nouveau niveau de base local.

 Eléments de bibliographie

  • (1) Bigot Jean-Yves (2006) - La reculée du Lison et le creux Billard (Nans-sous-Sainte-Anne, Doubs). Actes de la quinzième Rencontre d'Octobre, Corveissiat, 8 - 9 octobre 2005, n° 15, pp. 13-14.
  • (2) Frachon Jean-Claude (1969) - Les reculées du Jura lédonien (étude géomorphologique). Mémoire de Maîtrise d'enseignement de géographie, Université de Besançon (Doubs).
  • Frachon Jean-Claude (1975) - Les reculées du Jura lédonien (étude géomorphologique). Annales littéraires de l'Université de Besançon, Institut de Géographie de Besançon édit., condensé de 38 pages du Mémoire de Maîtrise de 1969.
  • (3) Bigot Jean-Yves (2002) - Conduits ascendants dans les gorges de l'Ardèche : les avens Cordier, Rochas et de Noël. Actes de la douzième Rencontre d'Octobre, La Bachellerie, 5 - 6 octobre 2002, n° 12, pp. 15-19.
  • (4) Frachon Jean-Claude (1963) - Spelunca, n° 3, pp. 24-26.
  • Frachon Jean-Claude (1971) - La caborne de Menouille (Cernon, Jura français). Actes de 4e congrès suisse de spéléologie, Neuchâtel, sept. 70, pp. 125-137.
  • Commission Scientifique FFS (2003) - Caborne de Menouille. Stage équipier scientifique 2001, 117 p.

  

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